INTRODUCTION

 

 

Toute science progresse par la réalisation et l’interprétation d’expériences, par l’introduction de nouveaux concepts et de nouvelles doctrines, par son enseignement et sa transmission aux générations futures, elle évolue surtout par les recherches et les découvertes de ses nombreux acteurs.

 

Pourtant la chimie est une science plus particulière que les autres, car son histoire n’est pas classique. Aujourd’hui la chimie figure comme une science de pointe et de progrès, reconnue et prestigieuse. Une science qui semble partout et nulle part à la fois. Cet édifice considérable aux ramifications innombrables s’est pourtant bâti en quelques siècles autour de quelques savants obscurs ou illustres.

En effet dans l’antiquité les aspects pratique et théorique de la chimie étaient profondément dissociés. A l’artisan les manipulations et au philosophe la spéculation intellectuelle. Pire encore la chimie prendra ensuite le caractère mystique et divin de l’alchimie.

 

La chimie prendra son identité réelle après la Renaissance. 

Le 17ème siècle sera le tournant entre une chimie exotique et désorganisée et une chimie moderne et rationnelle telle que nous la considérons. Plusieurs personnages illustres, plus particulièrement René Descartes et Isaac Newton influenceront, perfectionneront et permettront ce saut « épistémologique » d’une science qui ne l’est pas encore.

Pour comprendre l’un des grands tournants de la chimie, peut-être même la naissance de la chimie, nous allons nous intéresser à la contribution intellectuelle et pratique de ces deux grands philosophes, physiciens, mathématiciens et donc chimistes du 17ème siècle.   

 

            Les grandes figures de notre science n’ont pas toujours été des chercheurs, des professeurs de chimie et des ingénieurs. La chimie ne possède pas un génie qui l’a propulsé au rang de science indiscutable, grâce à une théorie, une découverte inattendue et révélatrice. On peut seulement distinguer deux périodes dans l’histoire de la chimie.

Un âge pré scientifique : celui des alchimistes et des artisans qui essayent de perfectionner, de maîtriser la matière par des techniques secrètes, en faisant intervenir des esprits, l’influence des planètes.

Puis un âge scientifique, rationnel et moderne où philosophes, académiciens, physiciens et les premiers véritables chimistes ont réussi à donner sa scientificité à la chimie notamment en l’enseignant et la vulgarisant grâce à l’imprimerie.

 

La transition entre cette chimie pré scientifique et la chimie moderne s’étend de la Renaissance au début du 18ème siècle.

De nouvelles théories, de nouvelles méthodes scientifiques vont émerger et apporter un véritable renouveau à la chimie. Deux nouvelles doctrines chimiques se développent successivement au cours des 17ème et 18ème siècles sous l'influence de Descartes puis de Newton.

La première, l’atomisme reprend et affine les idées des Anciens tels que Démocrite, Epicure et Lucrèce. L’atomisme évolue grâce à la philosophie et à la méthode mécaniste de Descartes.

 La seconde doctrine chimique dépasse la conception mécanique de Descartes et provient d’Isaac Newton. Sa théorie corpusculaire nouvelle est la première base solide pour l’interprétation des phénomènes réactionnels.

Newton s’étant inspiré de la philosophie de Descartes et Descartes de la philosophie  des Anciens nous devons traiter les différentes théories de ces deux précurseurs de la chimie moderne dans un ordre chronologique.

 

 

ETAT DE LA « CHIMIE » AU 17ème SIECLE.

   

Prépondérance de la théorie des éléments

 

            La théorie d’Aristote et de Platon, la théorie des éléments est encore au début du 17ème siècle considérée par les savants comme un dogme assuré, incontestable et enseigné à l’Université.

            La théorie des éléments soutient que la structure de la matière est continue et divisible à l’infini, une matière amorphe qui peut prendre toutes les formes possibles. Cette matière constituée par quatre éléments le feu, l’eau, la terre, l’air est définie par quatre qualités : le chaud, le froid, le sec, l’humide.

Chaque élément chimique que nous connaissons est une mixture particulière de ces quatre éléments. Pour qu’un élément se transforme, se transmute, il faut changer cette composition en modifiant une des quatre qualités de la matière élémentaire.

Ainsi tout est constitué de ce substrat continu, homogène et immobile. N’importe quel élément peut donc être transformé en n’importe quel autre, d’où l’enthousiasme des alchimistes.

 

L'alchimie est au début du 17ème siècle alors à son apogée. La théorie des éléments lui donnant une autorité incontestable, tous les savants expliquent les réactions en termes de transmutations, les propriétés des corps en termes d'esprits. L'alchimie est tellement répandue, mystérieuse et fascinante que le moindre érudit s'intéressant au phénomènes chimiques sombrait inlassablement dans ses méandres et en ressortait alchimiste. Cette chimie divine et occulte si imposante était incontestée depuis de nombreux siècles.

    

Toute autre théorie chimique est rejetée et considérée comme éminemment suspecte ;

ainsi les partisans de la théorie atomique des Anciens sont considérés comme une secte chimique. Quand, en 1624, deux savants prétendent montrer que la matière est composée d’atomes indivisibles et que la matière est discontinue, ils sont arrêtés et menacés sous peine de mort de ne plus propager leurs doctrines.

 

Le relâchement des liens avec cette théorie

 

Les conceptions des Anciens : Démocrite, Epicure et Lucrèce, oubliés pendant toute l’antiquité furent à nouveau redécouvertes au début du 17ème  siècle.

 

Dans l’antiquité et au Moyen-Âge, on comprend qu’elles aient été délaissées car l’homme avait l’esprit occupé par le salut, la divinité et dieu. La théorie des éléments qui conservait l’idée d’un dieu organisant les éléments, et de divinités telles que l’eau, le feu, l’air et la terre dont la mythologie raconte le rôle, correspondait mieux à la mentalité des individus.

 

Mais au début du 17ème, après la Renaissance et le courant humaniste, le matérialisme des doctrines atomistes, moins élaboré que les transmutations d’Aristote est mieux compris.

Après de nombreuses tentatives infructueuses, les efforts des atomistes s’allièrent avec la méthode mécaniste de Descartes. Les différentes doctrines corpusculaires conquirent d’abord la philosophie, la médecine puis la chimie elle-même. La théorie aristotélicienne et le courant alchimique furent en partie délaissés par les savants et les chimistes. Les connaissances chimiques se séparèrent en deux courants dont un seul, reprenant les idées des Anciens et soutenu par la philosophie de Descartes, s’inscrit dans le cadre du renouveau intellectuel de la chimie. L'autre courant, l'alchimie, persistera encore plusieurs siècles mais ne sera plus le courant dominant.

 

Un précurseur qui prépare le terrain

 

Jean Baptiste Van Helmont (1577-1644) est l’un de ces alchimistes convaincus, rattaché au courant iatrochimiste qui va faire réaliser des progrès importants à la chimie. Il vit au temps de louis Xlll. Médecin, alchimiste et physiologiste, c’est un expérimentateur rigoureux. Il bouleverse la conception médicale en rendant visite à ses patients. Traditionnellement les docteurs ne touchaient pas les malades.

 

Van Helmont rejette les dogmes de la science infuse pour chercher la vérité par l’expérience. Il recourt à la balance pour affiner ses observations. Il révèle l’existence de corps impalpables pour lesquels il crée le mot ²gas² (déformation du mot grec ²chaos ² ® indéterminé)

Il se penche sur la redéfinition des éléments. Au Moyen-Âge, la terre, l’eau et le feu étaient les bases sacrées de la création universelle. Van Helmont fut parmi les premiers à mettre en doute ces fondements. Sa philosophie chimique tend à expliquer le monde entier par un déroulement logique des faits qu’il met en parallèle avec les affirmations de la Genèse. Cette alliance de la religion à la science expérimentale a pour effet de détruire les doctrines scolastiques.

A ce propos, madame Metzger énonce que l’œuvre des iatrochimistes, courant auquel se rattachait Van Helmont, laissait ²un terrain tout à fait prêt² à recevoir la philosophie corpusculaire et mécaniste.

 

 

 

LE RENOUVEAU DE LA DOCTRINE ATOMIQUE : LA PHILOSOPHIE CORPUSCULAIRE ET LA THEORIE MECANISTE DE DESCARTES .

 

La philosophie corpusculaire constitue une nouvelle tentative d’explications des phénomènes chimiques. Ses fondateurs grecs : Leucippe, Démocrite, Lucrèce et Epicure définissent la matière mais également le vide.

La matière est constituée de parties pleines et de parties vides, elle n’est donc ni homogène ni continue. Les parties pleines sont appelées les atomes, ce que l’on ne peut pas couper. Chacun de ces atomes a une forme déterminée ; l’immense diversité géométrique et les multiples façons dont les atomes peuvent s’assembler permet d’expliquer la formation de tout ce qui existe.

Par exemple les corps les plus durs doivent leurs cohésion à des atomes très crochus et très entrelacés ; au contraire les liquides sont formés d’atomes lisses et ronds qui roulent aisément.

Cette théorie est donc entièrement reprise par les atomistes du début du 17ème siècle. Pierre Gassendi (1592-1655) fut le premier savant qui tenta de la réhabiliter en l’enseignant  et en l’appliquant .

"La matière discontinue est formée d’atomes indivisibles, indéformables, inaltérables, parfaitement durs et différents." C'est Descartes qui réussit à la réintroduire entièrement et à lui donner une place prépondérante.

 

Descartes et la doctrine atomique.

 

René Descartes s’est peu occupé de la chimie mais sa philosophie de la matière a pourtant profondément influencé cette science. Son influence ne s’est donc manifestée qu’indirectement. Il a donné aux médecins, aux chimistes l’habitude de penser autrement. Ils les a entraînés peu à peu à construire leur science sur de nouvelles bases et par suite à la modifier considérablement.

 

Descartes apporte deux nouveaux aspects aux doctrines atomiques qui vont d’une part donner à la chimie corpusculaire, le point de départ stable d’une chimie plus moderne et d’autre part permettre aux savants de faire correspondre une image sensible aux concepts abstraits de la chimie : la forme et le mouvement

 

Il s’entend sur quelques points fondamentaux avec les atomistes mais enrichit leur théorie par celle du mouvement mais sa conception de la matière est différente car il nie l’existence du vide. Sa théorie est donc corpusculaire mais ne s’intègre pas dans une vision atomique de la matière.

Son plus grand apport à la chimie est lié à son soutien et à son perfectionnement de la théorie des Anciens telle que la diffusait Gassendi au début du 17ème siècle.

 

Descartes admet que la matière est confondue avec l’espace et que les différences observées macroscopiquement se réduisent en fait à la différence de figuration présentée par les molécules qui les composent.

Il garde l’idée que les atomes ont des formes particulières mais l’idée un peu simpliste des atomes crochus de Lucrèce est remplacée et perfectionnée par l’attribution de formes géométriques définies et mathématiques aux atomes. Les atomes ne s’emmêlent plus mais s’empilent, se juxtaposent…

 

A l’opposé des atomistes, Descartes refuse l’existence du vide.

Les atomes ne sont pas séparés par des espaces vides. Autour d’eux se meuvent des particules encore beaucoup plus petites. Tout baigne dans une sorte de fluide subtil qui emplit les interstices entre les corpuscules et les entoure.

Enfin un postulat fondamental est que la description des corps naturels n’est pas séparable de l’histoire de leur formation.

 

C’est dans les "Principes" que Descartes présente une fiction racontant l’histoire de la création. A l’origine la matière était constituée de minuscules cubes empilés de façon parfaitement jointive, sans aucun espace entre leurs faces. Bientôt le mouvement agit sur ces cubes, les fait tourner en raison de ²tourbillons². Alors, leurs arêtes se brisent, générant soit une fine poussière (la matière subtile), soit des morceaux de formes aléatoires (la matière irrégulière). Ce qui reste des cubes après disparition des arêtes forme la matière globuleuse.

C’est l’aspect mécaniste de la théorie de Descartes qui va être la plus convaincante pour les chimistes.

 

 

 

La théorie mécaniste

 

 

Descartes dote les atomes d’un mouvement perpétuel qui leur a été communiqué lors de leur création. Il laisse entendre que, grâce à sa théorie, une interprétation mécanique de la chimie devient possible. La nouvelle vision de l’univers formé d’atomes en mouvement lui permettra d’expliquer leur combinaison mécanique lors des réactions chimiques.

Le calcul du mouvement des atomes pourrait permettre d’établir le mécanisme et la prévision des réactions en fonction des corps utilisés.

Les réactions chimiques ne sont que la traduction sensible des phénomènes mécaniques, suite au mouvement imprimé à la matière lors de sa création.

 Les corps mus et figurés de Descartes exercent dans la première moitié du 18ème siècle une séduction irrésistible sur un très grand nombre d’esprits. Sa philosophie mécanique ramenait à l’unité la complexité des phénomènes matériels.

Nicolas Lémery(1645-1715), médecin de formation, ouvre un cours de chimie à Paris. Son succès est immense car il se réfère à des expériences concrètes.

Nicolas Lémery n’est pas seulement un expérimentateur c’est aussi un théoricien. Il publie en 1675 son fameux ²Cours de chimie² dans lequel il énonce :

²L’alchimie est la chimie qui enseigne la transmutation des métaux.

La chimie est un art qui enseigne à séparer les différentes substances qui se rencontrent dans un mixte.² (cf. annexe).

En effet, il ne veut rien devoir à l’alchimie qu’il distingue d’emblée de la chimie.

Afin de construire sur le socle solide de Descartes, il considère que les phénomènes observés en chimie ont leur origine dans les formes des particules décrites par le philosophe.

Il construit un roman cartésien où les seuls acteurs sont figure et mouvement : 

 

-Une liqueur est acide car elle contient des particules pointues qui piquent la langue.

-La force d’un acide dépend de la finesse des pointes de ses particules.

-Le calcaire rentre en effervescence en contact avec un acide car il est constitué de particules raides et cassantes qui sont brisées par le mouvement des pointes de l’acide

-Les sels neutres peuvent se décomposer et se reconstituer en acide : les pointes de   l’acide entrent dans les pores du sel comme une épée dans un fourreau, l’acidité est juste masquée et non détruite…

Selon les rapports géométriques pointe acide / pore alcali, les particules d’alcali peuvent se briser au cours de la réaction expliquant du même coup le phénomène d’effervescence.

Les explications de Lémery sont simplistes. C’est là précisément son mérite.

C’est la clarté de l’expression, la volonté de rompre avec le mystère qui caractérisent son enseignement. Fontenelle (1657-1757) put dire à propos de Lémery :

²La chimie avait été jusque-là une science, où, pour emprunter ses propres termes (ceux de Lémery), un peu de vrai était tellement dissous dans une grande quantité de faux, qu’il était devenu invisible, et tous deux presque inséparables.²

Pendant une très courte période, la chimie fut enfin érigée en science populaire accessible et intelligible par tous.

 

 

 

 

Lémery et Homberg vulgarisent les idées de Descartes pendant plus de vingt-cinq ans.

Glauber, Boyle, Mayow introduisent les idées corpusculaires de Descartes en Angleterre.

           

 Robert Boyle (1627-1691) pense que la seule théorie possible est mécaniste. Il considère que la conséquence en est que tous les corps sont produits par des ²textures différentes² d’une²matière catholique ou universelle.² En ce qui concerne la pratique, le chimiste doit se conformer à ²l’analyse chimique² en travaillant à l’accumulation d’un savoir pratique toujours plus précis.

De ce fait, Boyle engage définitivement la chimie sur le chemin de l’expérience. En 1661, dans ²The Sceptical Chymist², il plaide pour une confrontation systématique des théories à l’expérience. C’est la première fois qu’est opposé à l’autorité de l’auteur ce que Boyle appelle ²the matter of fact² qui seul permet de certifier la théorie. Boyle sut dépasser le simple niveau de l’expérimentation par l’impulsion qu’il donna à une réflexion rationnelle dans l’interprétation des phénomènes chimiques.

Ses travaux expérimentaux le conduisent à employer un certain nombre de réactifs, à utiliser aussi le test de la flamme permettant de reconnaître une substance selon la coloration obtenue.

Physicien, il introduit dans la pratique de la chimie l’emploi de machines et d’instruments de précision dans les recherches.

La polémique lancée par DESCARTES sur l’existence du vide conduit Boyle à démontrer la possibilité de faire diminuer la pression de l’air avec une pompe à air. Le laboratoire est le lieu de démonstration d’une vérité qui, grâce aux témoins présents, se propagera dans toute l’Europe.

 

Ce physicien a aussi le principal mérite d’avoir distingué le simple mélange d’avec le composé chimique en montrant que celui-ci avait des propriétés plus ou moins différentes que celles des corps qui le constituaient tandis que les corps d’un mélange conservaient toutes leurs propriétés spécifiques.

Mais Boyle, dans la lignée de Descartes, imagine des hypothèses pour expliquer des cas d’actions moléculaires où il y a combinaison par des causes mécaniques ou même physiques.

C’est la raison pour laquelle Boyle n’a pu approfondir les conséquences de la distinction qu’il avait établie.

 

L’INFLUENCE DE DESCARTES SUR L’HISTOIRE DE LA CHIMIE .

 

Descartes a moins contribué au développement de la chimie par le contenu de ses théories que par l’importance des effets que celles-ci ont provoqué sur la pratique chimique.

En effet, pour Descartes, la chimie est une science illusoire puisqu’elle prétend nous livrer la réalité des choses par les moyens d’une analyse qui n’est pas une opération de la pensée.

Descartes se livre dans les ²Principes² à une vaste réduction des objets de la chimie à la mécanique sans pour autant que cela constitue une chimie cartésienne.

 

Pourtant Descartes aura provoqué une ² révolution profonde² dans l’évolution de la chimie selon les termes de Mme Metzger.

On peut caractériser cette révolution en deux points.

Le premier c’est la marginalisation de l’alchimie.

Le deuxième c’est le développement de l’aspect expérimental de la chimie.

 

                                  

La marginalisation de l'alchimie.

 

Descartes, en réussissant à détacher la chimie du courant alchimique et de la théorie des éléments a débarrassé la chimie de toutes références à l’occultisme. Il s’agit bien d’une rupture.

Les lecteurs étaient, avec le maquis de l’alchimie, perdus dans une jungle de mots et de symboles. C’est la clarté des principes mécanistes qui a séduit les savants.

C’est l’unité apparente de l’explication mécaniste qui conduit les savants à rejeter les qualités occultes, les sympathies, les correspondances, les attractions.

Ces principes d’étendue, de figure et de mouvements fort simples à comprendre furent considérés comme allant de soi. La chimie réduite à la mécanique corpusculaire de Descartes permet de donner une représentation concrète de la chimie. Ses partisans enrichirent leurs écrits de planches représentant les particules, les angles qu’elles forment.

 

En simplifiant la chimie, les cartésiens retiraient à cette science le droit de se substituer à une philosophie. Apparemment, ils rétrécissaient le domaine de la chimie. Mais en fait, ils la spécialisaient et lui conféraient la nature d’une véritable discipline scientifique reposant sur la méthode et l’expérimentation.

 

 

Le développement de l'aspect expérimental

 

C’est aussi la fascination des savants pour l’empirisme expérimental qui a été un facteur d’expansion de la méthode de Descartes.

Il convient ici d’évoquer la méthode expérimentale dont Descartes indique la démarche fondamentale dans le "Discours de la Méthode". Pour Descartes, la méthode c’est le circuit qui relie les idées au fait. L’explication vient de l’esprit qui découvre les faits tandis que la preuve, proprement dite, vient de l’expérience.

Descartes insiste sur la nécessité des expériences mais aussi sur l’importance de la coordination des efforts, sur le caractère primordial de la coopération des chercheurs.

Rappelons que les alchimistes travaillent seuls et qu’ils ne font jamais de communications sur leurs recherches en cours.

C’est vers la fin du 17ème siècle que va réellement se développer ² l’idée d’une science comme entreprise collective, menée entre collègues se jugeant les uns les autres.²

Descartes incite les chimistes à multiplier les expériences pour arriver à rendre compte des phénomènes.

Il est vrai que les expériences extérieures et sensibles n’ont, pour Descartes, d’autres buts que de confirmer l’expérience essentielle qui est celle de l’intuition rationnelle - ² l’hypothèse²

Pourtant, les conséquences pratiques de l’influence de Descartes sont bien réelles.

Sprengel, historien, confirme que les hypothèses ont fait perdre, aux chimistes convertis aux méthodes cartésiennes, l’habitude d’admettre les qualités occultes par lesquelles on ne pouvait rien expliquer.

Le désir de confirmer par l’expérience la forme des molécules rendit l’usage du microscope encore plus répandu. Contrairement à la quête alchimiste, qui place au premier rang le point de vue macroscopique et substantialiste sans les expliquer, l’étude cartésienne du mécanisme des particules repose sur une approche microscopique pour expliquer les propriétés macroscopiques des substances.

Par contre, la méthode de Descartes freina l’esprit d’observation dénué d’a priori parce que l’expérience servait seulement à vérifier l’hypothèse et non pas à en formuler une nouvelle.

 

En changeant le statut de l’expérience, on peut, sans hésiter, conclure que Descartes a marqué les premiers pas de la chimie expérimentale.

On peut aussi penser plus sévèrement que sur le plan de la pure doctrine chimique, cette théorie des ² charpentiers et des menuisiers² n’aurait eu qu’un intérêt anecdotique si Newton pour refuser ce mécanisme simpliste n’avait proposé d’abandonner tout recours à la forme des particules et n’avait introduit l’idée d’une force de type gravitationnel entre les particules.

 

C’est cette proposition qui va fonder le programme de la chimie du 18ème siècle : la mesure des affinités